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La
balistique lésionnelle (B.L.) est l'étude
de l'interaction projectile / tissus vivants (I.P.V.).
Si
le terme " balistique lésionnelle "
est récent, l'observation des plaies par
balles et les tentatives de compréhension
des mécanismes les ayant générées
sont anciennes. On peut faire remonter les premières descriptions à Ambroise PARÉ.
Pour plus d'informations sur le passé de
la balistique lésionnelle, on consultera
la page historique de la balistique lésionnelle.
La
balistique lésionnelle a vu son rôle
s'affirmer au fur et à mesure que la protection
de l'homme contre les armes à feu et que
la maîtrise des gestes thérapeutiques
destinés à traiter ses blessures devenaient
plus pressantes.
Discipline
qui puise ses sources dans l'observation et l'expérimentation, la
balistique lésionnelle moderne fait appel à
divers domaines des sciences et des techniques, notamment la mesure physique et l'informatique.
II
- LE CARACTÈRE MULTIDISCIPLINAIRE DE LA B.L
La
maîtrise de la balistique lésionnelle nécessite
des connaissances dans plusieurs branches scientifiques. On peut schématiser leurs interconnexions
de la façon suivante :
BIOLOGIE
- BIOMÉCANIQUE
La
biomécanique des tissus vivants est
déjà bien avancée.
Le domaine des chocs rapides propres aux
impacts par projectiles est toujours en
développement.
L'histologie présente un intérêt
pour l'étude des lésions non
observables macroscopiquement.
B.
L.
MÉDECINE D'URGENCE
La
médecine d'urgence est une discipline
qui tire profit de la B.L. L'évaluation
de la gravité des lésions dues à des armes conventionnelles ou à des armes
à létalité reduite (A.L.R.) ne peut se
réaliser sans un travail en commun.
PHYSIQUE
& BALISTIQUE
La
physique, qui englobe la mécanique donc
la balistique, est indispensable à
la compréhension des phénomènes
générateurs des lésions
dues aux projectiles.
Toute tentative d'interprétation
des blessures constatées sans s'appuyer
sur les lois de la physique nous entraîne
sur des chemins hasardeux.
Il
est impossible d'être spécialiste dans chacun
de ces domaines scientifiques. Les expérimentations dans cette discipline imposent de fait un travail en équipe au sein
de laquelle chaque spécialiste apporte ses compétences.
III - LES DOMAINES D'APPLICATION DE LA BALISTIQUE LÉSIONNELLE
Les
domaines d'application de la B.L. sont multiples. Les principaux
peuvent se résumer ainsi
:
AGRESSION
URGENCES
ET
ATTITUDES THÉRAPEUTIQUES
- Traitement des blessures
PROTECTIONS
- Protections balistiques
- Effets traumatiques arrières
- Chocs contondants
- Pare coups et armes blanches
L'étude d'une discipline commence logiquement par l'analyse des causes qui ont conduit à sa naissance et des raisons de son essor. C'est ce que nous allons faire de manière synthétique au chapitre suivant.
IV - AU COMMENCEMENT ÉTAIENT LES MYTHES
S'il est un domaine où les mythes vont bon train c'est bien celui touchant aux armes et à leurs actions sur l'homme. Ces croyances s'insinuent avec une facilité déconcertante dans tous les esprits, mêmes les plus cultivés, dès lors que ces derniers se refusent, par principe ou méconnaissance, à les analyser puis éventuellement à les combattre par les armes de la science.
La vue des lésions engendrées par les projectiles a conduit tout naturellement les observateurs à donner un avis sur les phénomènes sous-jacents. De nombreuses théories, à minima fausses et, parfois même, fantaisistes ont vu le jour rappelant que, dans ce domaine il en est comme dans d'autres, hors la science point de salut.
• Les premières tentatives d'explication des phénomènes sous-jacents aux lésions
L'importance et la gravité des plaies engendrées par certains projectiles, généralement tirés par des armes d'épaule en temps de guerre, semblaient difficilement explicables par la simple interaction directe projectile/tissus vivants. Les premiers observateurs sur les champs de batailles ont tenté d'en expliquer les causes par des mécanismes empruntés à la physique mais, cependant, mal compris. Chacune de ces explications était, à son tour, d'autant plus facilement acceptée qu'elle était émise avec aplomb par une sommité reconnue d'une société savante mais, néanmoins, fermée aux domaines de la science. La nouvelle théorie circulait et se diffusait avec d'autant plus d'aisance, que son nom semblait mystérieux, donc inquiétant, et que l'absence d'une analyse scientifique lui laissait libre cours.
Il était en effet difficilement concevable que quelques grammes de métal puissent, à eux seuls, produire les effets constatés sur un homme. Il fallait chercher d'autres responsables de telles lésions. La méconnaissance des lois de la physique a amené les observateurs à supposer des phénomènes mécaniques inadaptés : peut-être une zone de haute pression à l'avant du projectile se détendait-elle à l'instant de l'impact créant ainsi une importante cavité dilacérant les tissus. Ou peut-être, et pourquoi pas sûrement, les effets dévastateurs de l'onde de choc, les projectiles étant supersoniques. Dans de nombreux cas, on retrouvait des fragments du projectile. Si on admettait qu'un projectile en métal puisse léser des tissus, il était guère imaginable que ces mêmes tissus puissent abimer un projectile. Immédiatement, on a imaginé l'utilisation de projectiles explosifs. Certains avaient à l'esprit l'invention d'un certain monsieur Diesel.
De toutes ces fausses théories, c'est certainement celle de l'onde de choc associée aux supposés effets dévastateurs des projectiles à haute vitesse qui a été la plus tenace et, malheureusement, la plus délétère. Même de nos jours, bien qu'elle ne résiste pas à l'analyse scientifique, il arrive encore qu'elle soit invoquée. Une courte rétrospective des attitudes thérapeutiques face aux plaies par balles est, à ce sujet, instructive.
• L'évolution des méthodes thérapeutiques face aux plaies par balles
Sans remonter loin dans l'histoire de la balistique lésionnelle, pratiquement une quarantaine d'années, on a constaté une sensible évolution des attitudes thérapeutiques face aux lésions par balles. L'apparition des projectiles à haute vitesse notamment lors de la guerre du Vietnam a été à l'origine des théories les plus inexactes ayant entraîné des actes chirurgicaux qui ont eu les conséquences les plus néfastes sur les blessés de guerre à tel point qu'on en arrivait "à des actes chirurgicaux plus invalidants que l'action du projectile lui-même". Il faut reconnaître que les actions médiatiques voire publicitaires des fabricants ont également leur part de responsabilité. On trouvera ci-dessous une courte reprise de l'historique de la balistique lésionnelle consacré à ce sujet.
THEORIE
DE LA HAUTE VITESSE
ET DE L'ONDE DE CHOC
"Cette
théorie n'a pas été énoncée
par un chercheur mais a eu ces partisans... et en
a encore. Elle n'est fondée sur aucune base
scientifique mais plutôt sur une action médiatique
et sur des observations de lésions occasionnées,
lors de tirs à des distances relativement courtes,
par des petits projectiles à haute vitesse.
Ces lésions, certes importantes, sont dues
à des phénomènes mécaniques
tout à fait différents de cette pseudo
onde de choc.
Cette
théorie de l'onde de choc a eu une action extrêmement
néfaste au plan thérapeutique. Les chirurgiens
formés selon cette théorie se préoccupaient
plus des responsables de la lésion (l'arme
et le projectile) que de la lésion elle-même.
Il n'est qu'à lire la préconisation
thérapeutique reprise in extenso ci-dessous
:
« Quoiqu’il
ne soit pas évident que l’effet de la
cavitation aboutisse à quelque chose de définitif,
il n’en demeure pas moins qu’il y a eu
atteinte tissulaire importante bien au-delà
de ce qui se voit à l’œil nu. Aussi
faut-il suivre les principes du parage radical, le
chirurgien devra être bien plus incisif en ce
qui concerne l’excision tissulaire en la pratiquant
souvent de façon empirique et plus large que
ne l’exigerait normalement le bon sens clinique. » Gill 1978
On
aboutissait ainsi à des actes chirurgicaux
plus invalidants que l'action du projectile lui-même.
Cette attitude a été dénoncée
par Lindsey dans un célèbre éditorial
du Journal of Trauma paru en 1980 intitulé
"The idolatry of velocity, or lies, damn lies
and ballistics" (Le mythe de la vitesse ou mensonges,
foutus mensonges et la [science de la] balistique).
Heureusement
la raison a repris le dessus et une nouvelle génération
de chirurgiens préfère aujourd'hui traiter
la lésion sans se préoccuper de ce qui
l'a créée."
Il n'était pas inutile d'aborder, même très sommairement, ce thème. Il révèle à quel point des croyances, sans fondement scientifique, peuvent naître même à notre époque et, parfois, perdurer.
V - LA PERCÉE DU RATIONNEL
La nécessité d'une approche scientifique donc multidisciplinaire de la B.L. s'est avérée indispensable. Dans la suite de cet exposé, sont présentées les méthodes expérimentales qui ont permis de faire évoluer la discipline.
La façon la plus rationnelle aujourd'hui d'aborder les effets lésionnels consécutifs à l'interaction projectile/corps humain est d'étudier les deux protagonistes par ordre de complexité croissante : le projectile et le corps humain.
V - 1 - LES DEUX PROTAGONISTES DE LA B.L.
1 - Le projectile. Son analyse permet de connaître sa constitution (matériau(x) utilisé(s), sa géométrie, sa masse, de quelle manière elle est répartie et sa vitesse. Ces deux dernières valeurs donnent une information sur son énergie cinétique au moment de l'impact, donc sur le travail mécanique qu'il est potentiellement capable de fournir en cible.
2 - Le corps humain. Son étude au sens mécanique est une tâche ardue, mais pas impossible. Le corps humain peut être considéré comme un ensemble de matériaux inhomogènes. Il n'y a guère que les os du squelette dont on puisse tirer des lois de comportement par les méthodes de la physique des matériaux. Par contre des tests sur réacteurs biologiques permettent de mettre en évidence les limites de ruptures des divers tissus, notamment ceux constituant les organes fortement vascularisés dont les lésions hémorragiques importantes sont susceptibles d'engager le pronostic vital. Ces connaissances sont particulièrement utiles lors de l'évaluation des armes à énergie cinétique créant des lésions contondantes, par exemple les lanceurs de balles de défense, ou à l'occasion des tests sur les protections balistiques ou pare coups. Néanmoins, on voit immédiatement le vide existant entre un organe intègre et le même organe fortement lésé, fissuré, sujet à une hémorragie, comme peuvent l'être par exemple le foie ou la rate. Le choix est généralement fait de s'intéresser à la phase aigue. L'évolution à long terme d'une lésion n'est pas prise en compte car généralement peu ou pas documentée, statistiquement peu prévisible et vraisemblablement pas démontrable sur le plan juridique.
Vouloir comprendre les phénomènes à l'origine des lésions observées en balistique lésionnelle demande de s'appuyer sur les lois de la physique et notamment de la mécanique. Il est donc tout naturel d'aller explorer l'arrière plan scientifique de la B.L.
V - 2 - L'ARRIÈRE PLAN SCIENTIFIQUE DE LA BALISTIQUE LÉSIONNELLE
• L'action des forces
Pour qu'un corps, au sens général du terme, se déforme il doit être soumis à au moins une force. Lorsqu'un projectile interagit avec un milieu, dès lors que ce n'est pas le vide, il est ralenti, subit une décélération ou, autrement dit, une accélération négative.
Selon les lois de la mécanique, le projectile est soumis à des forces qui le freinent et le milieu qui le ralentit subit à chaque instant des forces égales en intensité, mais de sens opposé. Il est bon de le répéter, l'interaction du projectile avec la cible génère donc des forces et ce sont ces dernières qui déforment les tissus jusqu'à éventuellement leur rupture créant ainsi les lésions. Selon leur intensité, ces forces sont même capables de déformer voire de briser le projectile.
Le potentiel lésionnel d'un projectile dépend de l'énergie qu'il est capable de diffuser dans la cible. Il faut donc qu'il en ait. Pour cela on lui en donne sous la forme d'une énergie cinétique Ec qui dépend de sa masse et de sa vitesse. L'expression de l'énergie cinétique est donnée ci-dessous.
La masse est due au(x) matériau(x) qui constitue(nt) le projectile. On lui communique une vitesse à l'aide d'un lanceur, d'une arme. L'expression ci-dessus nous permet de constater que si l'on double la vitesse on multiplie l'énergie cinétique par 4. Pour arriver au même résultat, il faudrait multiplier la masse par 4. Dans les armes à feu, la cinétique des gaz et diverses contraintes imposent une vitesse limite. D'où l'intérêt d'agir également sur la masse en utilisant les matériaux les plus lourds pour avoir le plus d'énergie cinétique possible. Avoir beaucoup d'énergie cinétique, c'est bien ; bien l'utiliser en cible, c'est mieux. Tout l'art du munitionnaire est de créer des projectiles quittant l'arme avec beaucoup d'énergie cinétique et capables de la diffuser le plus possible et au mieux en cible.
Une question demeure : pourquoi se référer à l'énergie cinétique ? La réponse est apportée un peu plus bas.
• L'équivalence entre l'énergie cinétique et le travail mécanique
Il n'est jamais inutile de répéter les choses : l'énergie cinétique Ec d'un projectile est le demi produit de sa masse m par le carré de sa vitesse V :
Le travail mécanique W est le produit d'une force F par la distance d sur laquelle elle s'exerce.
Partant de la deuxième loi de la dynamique, on démontre assez simplement l'équivalence entre le travail mécanique et l'énergie cinétique. On arrive à une relation qui est fondamentale pour la compréhension des mécanismes de création des lésions : pour une énergie cinétique donnée, plus le freinage est important, donc d petit, plus la force F est élevée de même que les contraintes imposées aux tissus. Cette relation mérite d'être encadrée puisque elle est en quelque sorte la clé de la balistique lésionnelle.
• La surface d'interaction, facteur favorisant le freinage
Nous avons vu qu'avoir beaucoup d'énergie cinétique, c'est bien mais que bien l'utiliser, c'est mieux. Bien l'utiliser veut dire pour le munitionnaire dépenser le plus d'énergie cinétique en recherchant un fort freinage afin de générer les plus grandes forces dans la cible. Notons au passage qu'un très fort freinage peut provoquer la fragmentation du projectile donc, économiquement, une perte énergétique. En effet, l'énergie perdue dans la fragmentation du projectile n'est pas utilisée sur la cible. Cependant, le polycriblage consécutif à cette fragmentation compense en général largement, sur le plan lésionnel, la perte énergétique. On peut avoir le même raisonnement en ce qui concerne la "perte" énergétique lors de l'expansion du projectile. Il s'agit cependant d'une perte, elle aussi, utile puisqu'elle produit un plus fort freinage donc une meilleure interaction, au sens lésionnel, entre le projectile et la cible.
Il existe plusieurs paramètres favorisant le freinage d'un projectile. Parmi ceux-ci, la surface d'interaction S, appelée également maître couple, est prépondérante. Si, pour des raisons d'aérodynamisme, on a intérêt à ce que la surface S soit la plus faible possible durant le trajet aérien, on trouvera un avantage à ce qu'elle s'accroisse durant l'interaction avec la cible. Dans le schéma synoptique ci-dessous l'équation 2 montre la force d'interaction entre le projectile et la cible. Si cette équation est relativement complexe, il apparaît que, tous les autres paramètres étant fixés, lorsque la surface S croît la force de freinage F croît également, donc les contraintes sur la cible. C'est dans les régions de la cible où le freinage est maximum que l'énergie dépensée l'est également et que les lésions sont les plus importantes. Toute la subtilité pour les munitionnaires est de faire en sorte que le projectile abandonne le maximum, si ce n'est toute, son énergie cinétique dans la cible et, surtout, au bon endroit en jouant au mieux sur le paramètre S.
Nous venons d'obtenir une information intéressante. Pour accroître le potentiel lésionnel d'un projectile, tous les autres paramètres étant fixés, il faudra augmenter son maître couple, sa surface d'interaction avec la cible. Les moyens qui nous permettent d'obtenir ce résultat sont au nombre de trois et sont les conséquences des comportements classiquement observés des projectiles en cible. Ce sont l'expansion, la bascule ou retournement et, dans une moindre mesure car difficilement maîtrisable, la fragmentation. Nous étudierons ces phénomènes plus en détails au chapitre VI. Mais auparavant, voyons si l'énergie cinétique est le seul critère à prendre en compte pour évaluer l'efficacité d'un projectile.
• L'énergie cinétique, le seul critère ?
Pour caractériser le potentiel lésionnel d'un projectile, nous avons utilisé son énergie cinétique et notamment l'équivalence entre l'énergie cinétique et le travail mécanique appliqué à la cible. On peut se demander si d'autres relations pourraient être utilisées. La réponse est que si l'on souhaite aborder au plan lésionnel l'interaction projectile/cible de la manière la plus rationnelle, il faudra tenir compte de l'énergie cinétique. C'est elle qui donne l'information sur la capacité du projectile à produire du travail mécanique donc des lésions. Il n'en demeure pas moins que certains ont tenté de modéliser le pouvoir d'arrêt des projectiles selon d'autres approches. Dans le but d'être exhaustif , nous présentons ci-dessous, par l'intermédiaire de l'article de Serge LOPEZ, une synthèse des résultats des recherches sur la puissance d'arrêt ou "stopping power".
• La puissance d'arrêt (le "stopping power")
Compte tenu de certaines observations, notamment dans le domaine cynégétique, quelques théories ont vu le jour qui ont tenté d'expliquer le pouvoir d'arrêt des munitions et notamment certains effets de sidération plus particulièrement attribués aux projectiles à haute vélocité. Ces recherches ont en général abouti à des formules dans lesquelles on retrouve un mélange à différents degrés d'énergie cinétique et de quantité de mouvement. Dans le cadre de cette présentation, nous n'irons pas plus loin dans ce domaine et conseillons au lecteur intéressé de consulter l'article de synthèse de Serge LOPEZ guide de safari et titulaire du diplôme d'université de balistique lésionnelle.
• Énergie cinétique versus quantité de mouvement
En balistique lésionnelle, on peut être amené à devoir faire un choix entre énergie cinétique et quantité de mouvement.
La quantité de mouvement Q représente une impulsion, un choc mécanique. Elle est donnée par le produit de la masse par la vitesse du projectile :
La différence fondamentale entre la quantité de mouvement et l'énergie en général et cinétique en particulier est que cette dernière peut se transformer en tout autre type d'énergie. La quantité de mouvement, quant à elle, est créée par le mouvement et ne peut donner que du mouvement (voir le schéma ci-dessous).
• Faire le bon choix
L'équivalence entre travail mécanique et énergie cinétique nous conduit tout naturellement à choisir cette dernière pour prévoir l'efficacité d'un projectile en cible. On observe, par exemple, un lien direct entre le volume de la cavité temporaire et l'énergie cinétique perdue par le projectile.
Il n'en demeure pas moins que, dans certains cas de chocs contondants, le lien entre lésions et quantité de mouvement apparaît plus évident. C'est le cas notamment lorsque l'on mesure la formation du cône dynamique de déformation, générateur de lésions, en arrière des protections balistiques souples.
VI
- LES MOYENS EXPÉRIMENTAUX DE LA BALISTIQUE LÉSIONNELLE
VI - 1 - LA NOTION DE MODÈLE
La balistique lésionnelle s'intéresse aux lésions que les projectiles peuvent créer sur l'humain. Dans ce domaine, les moyens d'expérimentations sont forcément limités sur le plan éthique et nous sommes amenés à faire appel à des modèles qui peuvent être de natures diverses.
• Les contraintes lors du choix d'un modèle
Quel que soit le modèle choisi, il doit être fidèle. C'est à dire qu'à partir de ce que l'on observe lors de l'interaction projectile/modèle, on doit être capable de prévoir les conséquences de l'interaction projectile/humain.
Indépendamment du modèle utilisé, il est impossible de prévoir les lésions sur le corps directement à partir d'observations expérimentales brutes. Les résultats de l'interaction projectile/modèle doivent être traités au travers d'une "matrice de transfert" qui transformera les conséquences des contraintes subies par le modèle en une probabilité de lésions. La matrice de transfert est alimentée par diverses données, notamment les retours d'expériences du terrain, des données biomécaniques, les constatations autopsiques...
- Les retours d'expériences du terrain
Ce sont les informations les plus importantes car elles permettent de connaître les conséquences immédiates des atteintes projectilaires. Toutes les phases de la scène sont présentes. Au niveau des conditions initiales, si la vitesse du projectile, donc son énergie cinétique, n'est pas connue, la distance d'engagement l'est et la vitesse restante, lors de l'impact, peut en être déduite. On sait également s'il s'agit d'une atteinte directe ou si le projectile a préalablement traversé un écran altérant ainsi son intégrité. Les plaies constatées peuvent être liées directement à la nature et à l'attitude du projectile au moment de l'impact.
- Les données biomécaniques
Ces données sont d'une importance cruciale si l'on souhaite modéliser et, in fine, prévoir les conséquences de l'interaction projectile/tissus biologiques.
Impact contondant
- Les constatations autopsiques
Les autopsies médico légales ne sont pas les méthodes exploratoires les plus à même d'apporter des informations pertinentes dans la recherche en balistique lésionnelle. Le médecin légiste intervient bien après les faits et a pour tâche de répondre aux questions du magistrat : direction du tir, chronologie des tirs s'il y en a eu plusieurs, létalité du tir. Les conditions dans lesquelles se sont réalisés le ou les tirs ne sont pas connues, sauf peut-être des enquêteurs. Il est donc généralement difficile de tirer une donnée utile aux expérimentateurs à partir des constatations effectuées lors d'autopsies médico légales sauf que, mises à part les blessures de l'encéphale, l'hémorragie est la cause principale de la mort de la victime d'un tir. Information qui a cependant son importance.
ALIMENTATION DE LA
MATRICE DE TRANSFERT
- Retours d'expériences du terrain
- Données biomécaniques
- Constatations autopsiques. Etc...
LABORATOIRE D'ESSAIS
ADAPTATION DES RÉSULTATS
PROBABILITÉ DE LÉSIONS SUR L'HUMAIN
RÉSULTATS
EXPÉRIMENTAUX
- Réacteurs biologiques
- Matériaux "simulants"
- Modèle numérique
Informatique
MATRICE
DE TRANSFERT
VI
- 2 - LES MATÉRIAUX DE RÉFÉRENCE
Expérimentalement, une méthode d'étude du potentiel lésionnel des projectiles consiste à réaliser des tirs sur des matériaux de référence (gélatine, gels balistiques) appelés un peu abusivement mais par simplification "simulants".
Les analyses des retours d'expériences du terrain concernant les effets lésionnels des projectiles, associées à l'étude de leurs comportements sur "simulants", permettent de générer des matrices de transfert autorisant l'extrapolation des observations sur "simulants" aux effets lésionnels susceptibles d'être constatés sur les tissus vivants.
• Le modèle gélatine
La
gélatine est un matériau organique (une ou un ensemble de protéines)
fabriqué à partir du collagène des
os et de la peau animale. C'est un matériau élastique
qui donne de bonnes indications sur le comportement des
projectiles dans certains tissus organiques. La gélatine
à 10 % de concentration et à 4 degrés
C présente, en l'occurrence, une bonne similitude
avec le tissu musculaire au repos au sens des distances
de pénétration. Son principal avantage est sa relative transparence qui permet de réaliser des prises de vue ou des vidéos à haute vitesse.
Son utilisation demande certaines précautions dans le processus de fabrication et notamment de stockage compte tenu qu'il s'agit d'un matériau biologique.
• Les gels balistiques
Il s'agit d'une évolution, principalement sur le plan de la facilité d'utilisation, par rapport au modèle gélatine. Les gels présentent une meilleure transparence et leur stockage ne nécessite pas d'attention particulière. Leur refonte est possible moyennant quelques précautions.
Néanmoins, l'adoption d'un nouveau matériau de référence ne se réalise pas sans difficulté, surtout si son comportement mécanique diffère de l'ancien. Dans ce cas, il faut recommencer le processus de calibration afin d'obtenir de nouvelles matrices de transfert.
• La normalisation des tests
Quel que soit le matériau de référence choisi, les échanges de résultats entre laboratoires imposent une normalisation des tests. Par exemple, dans le cas d'utilisation d'une gélatine balistique :
- Dureté du matériau en degré Bloom, en général 250 Bloom ;
- Dimensions des blocs de gélatine balistique : 250 x 250 x 500 mm (effet de masse) ;
- Concentration et température : 10% à 4° C ou 20 % à 20° C, par exemple.
• Des tissus aux caractéristiques mécaniques diverses
En modifiant la concentration et/ou la température de la gélatine, il est possible de se rapprocher du comportement mécanique de nombreux tissus organiques, de celui, tonique, du muscle en contraction à celui très aérique du poumon en passant par ceux plus friables du foie ou de la rate.
Pour les os, il est possible de réaliser des inclusions, au moment de la fabrication du bloc, avec des os frais afin d'évaluer l'interaction projectile/os. On peut ainsi observer la fragmentation de l'os et généralement du projectile lors d'un impact direct ou éventuellement une fracture due à un effet à distance. Si l'absence de fixation par tendons ou ligaments peut avoir une influence en mode quasi statique (faible vitesse d'interaction), elle n'en a quasiment pas lors de l'impact d'un projectile compte tenu de la vitesse de l'interaction et de l'inertie du matériau testé. La vidéo* ci-dessous présente l'atteinte directe d'un fémur de porc, inclus dans un bloc de gélatine à 10% et 4° C, par un projectile de .223 Remington.
Atteinte directe d'un os par un projectile de .223 Rem
VI - 2 - LE PROFIL LÉSIONNEL
Les observations des lésions sur l'animal ou l'humain ont conduit à l'adoption d'un schéma général représentant l'interaction projectile/tissus vivants. On lui a donné le nom de profil lésionnel. Ce nom n'a certainement pas été choisi par hasard. En effet, si tous les profils possèdent les mêmes éléments constitutifs, leurs allures diffèrent cependant selon le mode d'interaction du projectile.
• Présentation du profil lésionnel
Introduit par J. BRETEAU et M. FACKLER, le profil lésionnel est en quelque sorte la
pierre angulaire de la balistique lésionnelle. Il
caractérise l'interaction du projectile avec le matériau
qu'il traverse, la nature et l'importance des lésions
sur les tissus biologiques.
La forme et les dimensions du profil lésionnel
dépendent des caractéristiques mécaniques
du milieu traversé et de celles du projectile, notamment du ou des matériaux le constituant, de sa forme, de son obliquité et de son intégrité à l'impact, de son énergie cinétique et du comportement qu'il adoptera en cible.
On
trouvera ci dessous le schéma d'un profil lésionnel
type dont on peut lier le volume au travail mécanique nécessaire à sa formation donc à l'énergie cinétique du projectile diffusée durant le trajet dans la cible.
A
: trajet proximal (neck en anglais)
B : zone de bascule, d'expansion etc. (selon le type de
projectile)
C : trajet distal
1 : cavité permanente
2 : cavité temporaire
• Interprétation du profil lésionnel
Le trajet proximal est la région où l'interaction entre la cible et le projectile débute. Le projectile est toujours stable ou peu déstabilisé. S'il s'agit d'un projectile expansif, l'expansion commence. Plus l'expansion ou la bascule du projectile sont rapides plus le trajet proximal ou "neck" est court.
La zone de bascule ou de champignonnage est la région où le projectile présente la plus forte décélération, où il perd le plus de vitesse donc d'énergie cinétique et où les lésions constatées sont les plus importantes.
Le trajet distal est la fin du parcours du projectile. II a perdu de la vitesse, éventuellement de la masse, donc de l'énergie cinétique. Le travail mécanique qu'il fournit est faible.
Si l'on observe la forme générale d'un profil lésionnel, on constate que les dimensions de l'orifice de sortie dépendent de l'épaisseur de la cible donc de l'attitude du projectile à la sortie.
La cavité permanente est une région constituée de tissu détruit, broyé par le passage du projectile. Après cicatrisation, le tissu fibreux de remplacement n'aura plus les fonctions du parenchyme d'origine.
La cavité temporaire est une région tissulaire mise violemment en accélération. Comme son nom l'indique, elle n'existe qu'un bref instant. Des pressions élevées y sont mesurées décroissant avec la distance. Les dégâts tissulaires dépendent de la capacité des tissus concernés à supporter ces fortes contraintes mécaniques.
Le profil lésionnel donne des informations sur la mécanique ayant provoqué les lésions tissulaires. Outre les constations visuelles, l'utilisation d'accéléromètres et/ou de capteurs de pression permet de mettre en évidence les mécanismes générateurs des lésions non directement observables.
VI - 3 - LES MÉCANISMES SOUS-JACENTS AUX LÉSIONS
Les mécanismes sous-jacents aux lésions sont la compression et l'étirement. Ces deux phénomènes interviennent en proportions et en intensités variables en fonction de la distance par rapport au trajet projectilaire. Ils sont d'une intensité maximale sur le trajet du projectile et s'atténuent en direction de la périphérie.
- La compression présente une intensité maximale à l'endroit de l'interaction du projectile avec les tissus, créant ainsi un broyage des matériaux biologiques. Les tissus adjacents sont violemment repoussés et, en leur sein, sont mesurées des pressions élevées dont les niveaux décroissent en s'éloignant du passage du projectile.
- L'étirement est dû à l'action du projectile qui repousse, écarte les tissus sur son passage. Ces derniers sont étirés et, selon leur degrés d'élasticité, peuvent atteindre leur seuil de rupture : ils se déchirent. Comme pour la compression, l'intensité de ce phénomène s'atténue avec la distance.
La compression et l'étirement sont deux phénomènes concomitants. On constate que, selon la puissance du projectile, le volume des lésions tissulaires peut dépasser celui du trajet du projectile et des nécroses pourront être observées à distance alors qu'il n'y a eu aucune interaction directe entre ces tissus et le projectile. Des fractures pourront notamment être observées si le projectile passe, sans le toucher, suffisamment près d'un os. De la capacité des tissus sollicités à supporter les contraintes mécaniques dues à la compression et à l'étirement, dépendra l'étendue des lésions et leur gravité.
VI - 4 - LES MODES D'ACTION D'UN PROJECTILE EN CIBLE
Lorsqu'un projectile interagit avec une cible, il peut présenter trois sortes de comportements :
1 - La bascule ou retournement. le projectile était stable dans l'air, mais les forces d'interaction avec la cible ont raison de cette stabilité ;
2 - L'expansion. Il y a déformation du projectile. De nos jours, elle est généralement prévue et contrôlée. Il s'agit de projectiles expansifs ;
3 - La fragmentation. Elle n'est pas réellement voulue bien que, selon la dureté choisie pour les matériaux composant un projectile, on puisse la favoriser voire la provoquer. Voulue ou pas, elle accroît l'efficacité du projectile par le polycriblage dont elle est à l'origine.
Ci-dessous se trouve une illustration schématisant ces trois modes d'action.
• La bascule ou tendance au retournement du projectile
Sur les projectiles modernes de formes généralement oblongues, la répartition des masses fait que la résultante FR des forces aérodynamiques se trouve, par raison de symétrie, sur l'axe longitudinal et en avant du centre de gravité G. L'action combinée du poids P du projectile renvoyé au centre de gravité et de cette résultante crée un couple tendant à provoquer le retournement du projectile. Ce phénomène est schématiquement décrit ci-dessous.
La tendance au retournement en cible augmente l'obliquité du projectile donc la surface d'interaction. L'image ci-dessous montre, en rouge, l'accroissement de la surface d'interaction avec une obliquité variant de 0 à 90 degrés. On en déduit que la maîtrise du phénomène de retournement entraîne celle du potentiel lésionnel du projectile sans faire appel à l'expansion ni à la fragmentation. Cependant, sur le corps humain par nature hétérogène, on peut dans certains cas constater une fragmentation lors de l'interaction avec des tissus osseux. La fragmentation peut se produite également dans les tissus mous, lorsque les forces subies par le projectile dépassent ses limites de résistance mécanique. Elle peut être considérée comme "accidentelle" car pas forcément recherchée lors de la conception du projectile. Quand c'est le cas, elle apparaît au moment du maximum d'obliquité, lorsque le freinage est le plus intense.
Accroissement de la surface d'interaction
avec l'obliquité
Animation décrivant le mécanisme de création d'un profil lésionnel par retournement
Certains projectiles, de par leur conception, présentent une forte propension au retournement. La photo ci-dessous d'une coupe d'un projectile de 5,45 mm x 39 destiné au fusil d'assaut AK 74 en donne un exemple. Ce projectile, de par ses éléments constitutifs et la répartition des masses, présente une tendance naturelle au retournement en cible en même temps qu'une excellente capacité de perforation des protections balistiques classiquement portées par les combattants (à l'exclusion des plaques de céramique). Il est à noter que ce projectile était la balle "ordinaire" des forces armées du pacte de Varsovie. Son efficacité est bien supérieure aux balles ordinaires (noyau en plomb et chemisage en laiton) des forces de l'OTAN tout en étant, lui, conforme aux conventions de La Haye car ne fragmentant pas, tout au moins dans les tissus mous, même à courte distance de tir.
La vidéo ci-dessous montre le retournement du projectile de 5,45 mm x 39 d'AK 74 qui ressort du bloc de gélatine le culot en avant.
La vidéo ci-dessous présente le retournement d'un projectile de 7,62 mm x 39 d'AK 47.
Les graphiques ci-dessous présentent des résultats d'expérimentations sur une cuisse de porc, donc dans du tissu musculaire. Ils illustrent la corrélation entre l'attitude du projectile en cible, sa décélération et l'importance des lésions.
• L'expansion
Certains projectiles ont une tendance naturelle à s'épanouir. Il s'agit généralement de projectiles constitués d'un ou de plusieurs matériaux relativement ductiles tels que, par exemple, certains alliages de plomb ou de laiton. L'expansion de ces projectiles dépend principalement de l'intensité de leur interaction avec la cible. N'étant ni constante, ni reproductible, on ne peut considérer cette tendance à l'épanouissement comme un paramètre fiable d'efficacité. Il est donc nécessaire de créer des projectiles dont l'expansion soit quasi certaine, sauf pour de très faibles vitesses d'impact, et, autant que faire se peut, contrôlée. Les photos ci-dessous montrent deux types de projectiles dont la conception les prédispose à l'expansion. Le projectile de 9 mm Parabellum présente en plus au niveau de l'ogive des amorces de rupture favorisant une ouverture symétrique.
.38 Spécial
soft hollow point
.38 Spécial
soft hollow point
9 mm parabellum
hollow point
9 mm parabellum
hollow point
La vidéo ci-dessous présente l'expansion d'un projectile de 9 mm Parabellum Gold Dot. On constate que l'expansion se produit très rapidement rendant le trajet proximal peu visible. On observe également que l'expansion bien maîtrisée entraîne une excellente stabilité du projectile épanoui dans le matériau, il est vrai, homogène et isotrope.
• La fragmentation
La fragmentation du projectile survient lorsque les forces générées par l'interaction projectile/cible dépassent sa limite de rupture. Dans le corps humain, elle se produit souvent lors de la rencontre avec un os. Certains projectiles peuvent cependant se briser dans les tissus mous. Dans ce cas, la fragmentation se produit dans la phase de la bascule où ils présentent le maximum de surface d'interaction, donc au moment où les forces de freinage sont les plus intenses. Bien qu'une partie de l'énergie cinétique soit "perdue" dans le phénomène de fragmentation, il n'en demeure pas moins que le travail mécanique est susceptible de créer d'importantes lésions. La perte énergétique lors de la fragmentation est en quelque sorte compensée par la potentialisation de l'effet lésionnel consécutif au polycriblage créé par les éclats, chacun créant son profil lésionnel et accroissant ainsi le risque hémorragique.
La vidéo ci-dessous et les deux images qui la suivent présentent la fragmentation d'une balle de 5,56 mm x 45 (.223 Remington) ordinaire (noyau plomb et chemisage laiton) dans un bloc de gélatine à 10% et 4° C.
Fragmentation d'un projectile de .223 Remington
Balle ordinaire
Distance de tir : 10 m
Ci-dessous, les détails de la fragmentation (principaux fragments).
Fragmentation d'un projectile de .223 Remington - Balle ordinaire
Distance de tir : 10 m
Ci-dessous, l'image des résultats d'une fragmentation. À gauche, le projectile dans son état initial. À droite, les restes du projectile fragmenté. En l'occurrence, n'ont été retrouvés qu'une partie de la chemise et des particules de plomb disséminées dans la gélatine. Les blessures constatées sur l'humain, lors de tirs à courte distance montrent le même type de fragmentation.
Résultats d'une fragmentation
Photo : GRICOURT, HIERNAUX, TOUSSIGNANT
TP du diplôme d'université de balistique lésionnelle
• Différents projectiles, différents effets
Tout en respectant les lois de l'aérodynamique, on dote les projectiles de formes et de structures diverses selon l'effet souhaité en cible. Une bonne stabilité et une absence de déformation sont les principales caractéristiques des projectiles présentant une forte capacité de pénétration (bonne perforation des protections balistiques même avec des armes peu puissantes). Si l'on souhaite une utilisation efficace de l'énergie cinétique on choisira l'expansion. Si des règlements l'interdisent, on optera pour la déstabilisation.
VI - 5 - INTERPRÉTATION EXPÉRIMENTALE DU PROFIL LÉSIONNEL
Les exemples d'interprétation des profils lésionnels présentés ci-dessous sont des tirs réalisés sur des blocs de gélatine à 10% et 4° C. Les dimensions des blocs sont : 25 x 25x 50 cm.
L'interprétation du profil lésionnel dans un matériau de référence peut se réaliser selon deux modes : dynamique ou statique.
- Le mode dynamique nécessite l'utilisation de moyens de prises de vue lourds et onéreux. En vidéo rapide, la fréquence des images doit être de l'ordre de 30 000 i/s ce qui nécessite un éclairage puissant. Les problèmes de chaleur vis à vis des matériaux de tests sont plus simples à gérer depuis l'avènement des éclairages à LED. Le mode dynamique est le seul à permettre de visualiser la formation de la cavité temporaire.
Fragmentation d'un projectile de 7,62 mm NATO
Distance de tir 10 m
- Le mode statique permet de mesurer à postériori l'effet du passage du projectile. Dans la gélatine, on observe des fissures que l'on peut mesurer et déduire une probabilité de volume tissulaire lésé ou, tout au moins, exposé aux contraintes mécaniques produites par le passage du projectile. Une fois le tir effectué, des mesures sont réalisées sur la trace laissée par le passage du projectile dans le bloc de gélatine. Cette trace est également appelée, par habitude et certainement un peu abusivement, "profil lésionnel".
Trace du passage d'une balle Brenneke de calibre 12 Distance de tir : 10 m
Photo : GRICOURT, HIERNAUX, TOUSSIGNANT
TP du diplôme d'université de balistique lésionnelle
Une découpe transversale du bloc à l'aide d'un fil chauffant permet d'échantillonner le "profil lésionnel" et d'obtenir une matrice de données.
Projectile 7 x 64 mm RWS
Tranche de section réalisée à 10 cm de l'orifice d'entrée
Photo : GRICOURT, HIERNAUX, TOUSSIGNANT
TP du diplôme d'université de balistique lésionnelle
Les données enregistrées permettront de traiter numériquement l'interaction projectile/matériau de référence.
Projectile Sauvestre de calibre 12
Reconstituion numérique du profil lésionnel
Photo : GRICOURT, HIERNAUX, TOUSSIGNANT
TP du diplôme d'université de balistique lésionnelle
• Fissuration de la gélatine et cavité temporaire
Les premiers expérimentateurs (BRETEAU, FACKLER et autres) avaient établi une correspondance entre les lésions constatées sur l'animal ou l'homme et le volume délimité par la zone de fissuration dans la gélatine. À cette époque, les moyens de visualisation rapide étaient lourds, encombrants, complexes à mettre en œuvre et l'interprétation des images prenait un temps relativement long (typiquement, sur un film de 35 mm d'une longueur de 300 mètres, seul le tiers central était exploitable pour des raisons techniques et l'analyse se faisait image par image). Quant aux systèmes de radiographies éclair, ils étaient réservés aux laboratoires très spécialisés. Ces moyens de prises de vue rapides faisant généralement défaut, les expérimentateurs d'alors n'avaient pas les moyens d'observer des phénomènes très fugaces qui nécessitent de nos jours, pour être bien étudiés, des vitesses de prises de vue de l'ordre de 30 000 images par seconde. La seule façon d'exploiter les résultats des tirs sur des blocs de gélatine était l'analyse statique. Les expérimentateurs avaient donc assez naturellement assimilé le volume délimité par les fissures à celui de la cavité temporaire. Les prises de vue en vidéo numérique rapide montrent que ce n'est pas le cas. Le volume de la cavité temporaire, au maximum de son expansion, est bien supérieur à celui délimité par les fissures que l'on peut mesurer en mode statique. Ci-dessous, les deux images du tir du même projectile le montrent parfaitement.
On constate en mode dynamique que les effets mécaniques du passage du projectile vont bien au-delà de ce que laisserait penser l'analyse de la zone de fissuration.
Action d'un projectile de 5,45 x 39 mm. Visualisation en mode dynamique versus mode statique
Gélatine à 10% et 4° C. Vitesse = 892 m/s
• Se garder des interprétations hâtives
Les cavités temporaires créées sur les blocs de gélatine peuvent être, selon la puissance de l'arme, impressionnantes. Il faut cependant bien se garder d'extrapoler directement les observations réalisées sur le matériau de référence au corps humain. En effet, le bloc est constitué de gélatine qui est un matériau homogène et isotrope. Étant constitué principalement d'eau, la transmission des forces et des pressions par effet hydrodynamique est à son maximum.
Il n'en est certainement pas de même sur le corps humain, par nature inhomogène, où l'effet hydrodynamique, par amortissement et filtrage, est vraisemblablement moindre, variable selon les régions anatomiques et inconstant (un estomac plein de liquide réagira différemment à un impact que s'il est vide). Cependant, certains organes fortement vascularisés, d'une structure plus dense et homogène comme le foie ou la rate, voire les reins, peuvent présenter des comportements assez proches de ceux constatés sur matériau de référence. Quoi qu'il en soit, on en revient à l'importance de la matrice de transfert.
Si certaines lésions macroscopiquement constatées lors d'autopsies médico légales peuvent donner à l'observateur l'impression d'une similitude entre une lésion par balle, généralement due à des armes de poing, et celle due à une arme blanche, la pointe d'une épée, il est nécessaire que l'expérimentateur avisé, notamment s'il travaille à la protection de l'homme vivant, adopte un comportement plus prudent. Le passage d'une lame d'épée à proximité d'un os ne l'a jamais brisé. Il semble parfois s'instaurer un débat entre minimalistes et maximalistes. Sans doute la vérité se trouve-t-elle entre les deux se mouvant au gré de la puissance des armes.
En ce qui nous concerne, dans le cadre notamment d'expérimentations pour la faculté de médecine de Lyon I (diplôme d'université de balistique lésionnelle), nous avons pu provoquer des fractures osseuses au niveau de la diaphyse et de l'épiphyse de fémurs de porc lors de tirs de projectiles de 5,56 mm à proximité de l'os. Les tirs étaient réalisés soit l'os in situ, dans la cuisse (seule), soit l'os inclus dans un bloc de gélatine à 10% et 4° C. Lors de nos travaux en commun, J. BRETEAU nous à fait part de commotions nerveuses observées lors de tirs avec les mêmes projectiles à proximité du rachis cervical chez le porc. Ces commotions, sans signe macroscopique de traumatisme, entraînaient une tétraplégie temporaire. À l'issue, la récupération était complète.
La visualisation en dynamique de la formation de la cavité temporaire sur matériau de référence ainsi que l'observation de lésions à distance permet d'avancer l'idée que l'action du projectile se fait certainement ressentir au-delà de la zone des lésions macroscopiquement observables. Le volume de la cavité temporaire et surtout sa vitesse de formation sont certainement des facteurs importants d'une action à distance, de l'effet de sidération, de la mise hors de combat immédiate vraisemblablement dus à d'autres causes qu'une hémorragie massive. Certains chercheurs invoquent une action à distance, par ondes de pression, sur le système nerveux central lors d'impacts notamment en région thoracique*. Des domaines de recherche sont encore ouverts.
• Énergie cinétique versus quantité de mouvement. Faire le bon choix (bis)
Les expérimentations montrent que si le volume de la cavité temporaire est lié à l'énergie cinétique dépensée, la profondeur du cône dynamique en arrière des protections balistiques souples est corrélée à la quantité de mouvement.
Énergie cinétique versus quantité de mouvement
VII - LA SIMULATION NUMÉRIQUE
La simulation numérique occupe avec profit une place importante dans l'étude de l'interaction projectiles/tissus vivants. Les moteurs de calculs sont performants.
La méthode consiste à utiliser le calcul par éléments finis. On prend un petit élément d'un matériau et on étudie sa loi de comportement, c'est à dire la façon dont il réagit à une contrainte. Partant de ce petit élément on peu prévoir comment cette contrainte sera transmise de proche en proche. Cela suppose que le matériau étudié soit homogène. Généralement, les tissus biologiques ne le sont pas, mais bien souvent l'approximation qu'ils le sont donne une très bonne approche surtout si l'on est intéressé par les limites de rupture.
• De l'utilité de la simulation en général
On peut s'interroger sur l'utilité de la simulation, prise dans son sens général, que ce soit sur matériau de référence ou à travers le calcul numérique. Une première réponse est que si la simulation est née et qu'elle a pris un tel essor, c'est qu'elle est utile pour ne pas dire indispensable dans le domaine de la recherche.
Certains avis négatifs peuvent parfois être donnés par des personnes qui adoptent une posture de rejet, souvent irrationnelle, face à une méthode qu'ils ne comprennent que difficilement. Ceux-là craignent qu'une technique qui tend de plus en plus vers l'exactitude compte tenu de son assise scientifique s'introduise dans leur pré carré. La critique classiquement émise est le manque de similitude directe avec le corps humain. L'argument ne tient pas car il n'a jamais été question d'établir une correspondance directe entre un matériau de référence et le corps humain. Nous sommes là, dans le pur domaine de la psychologie.
D'autres, au contraire, l'esprit ouvert aux différentes techniques, accueillent favorablement la simulation qui permet d'obtenir des réponses rapides, de faire avancer leurs recherches en s'affranchissant des problèmes d'éthique propres à ce domaine, tout en étant économe en temps et en budget.
En conclusion la meilleure façon de savoir si la simulation est utile est de faire une analogie avec la topographie. Une carte topographique ou un écran de GPS ne montrent pas tous les détails du lieu où nous nous trouvons. Ils nous permettent néanmoins de nous repérer, de suivre notre route et d'arriver à destination.